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CAROLINE MASINI

Caroline Masini dirigera trois ateliers d'arpentage de textes entre novembre 2023 et février 2024.

Entre 2018 et 2023, elle a dirigé l'atelier de lecture collective au CDN-Théâtre des Treize Vents de Montpellier autour d'une pratique d'arpentage. 

Le texte ci-dessous rend compte de cette expérience.

Le "petit"

 

Voilà 5 années maintenant qu’avec Florian Onnein et le Laboratoire des Acteurs, nous menons au Théâtre des Treize vents cette petite et précieuse expérience que sont les Lectures Collectives.   

On dit « petite » expérience parce que c’est justement cette échelle qui nous intéresse et à cette échelle que tout se passe. Loin du monumental, loin des frises historiques horizontales, loin des autorités professorales et des savoirs réservés. Parce que le « petit », c’est l’économie que nous mettons en place quand sur une journée entière, on se tient là, on se colle à la tâche, on se met à l’étude, buée sur les fenêtres tandis qu’autour ça tourne – pas rond ou trop vite ou cul par-dessus tête. C’est un peu notre manière à nous d’« organiser le pessimisme », comme le réclamait Walter Benjamin et bien d’autres avant lui, « c’est l’exigence du jour » il disait et c’est aussi la nôtre. Parce que nous sommes là, à se faire croire que collectivement ça servirait à quelque chose de se former, de lire, de revenir sur ce que l'on a déjà lu, sur ce qu’il faudrait avoir lu, ce qui constituerait l’histoire des « grands » tandis que nous resterions à cette échelle, « petite », tandis que nous pétrissons ensemble les résistances, les certitudes, les impasses de chacun face au savoir, face à la connaissance, face à ce que serait une formation et une culture.  

Nos règles sont flottantes, disons qu’on les invente au fur et à mesure. Il y en a deux pourtant qui ne nous quittent pas. La première est de lire à haute voix, parce la voix haute nous met face à nous-mêmes dans cet écho parfois très inconfortable du déchiffrement et non de l’interprétation. Limite toujours fine, quasi impossible, mais vers laquelle on tend. Déchiffrer c’est un acte performatif et humble en soi, il consiste à se détacher le plus possible de ses certitudes et c’est un petit précipice qui se donne à voir, pudique, et soutenu par les précipices des autres. La seconde règle consiste à accepter de laisser des questions sans réponses (google n’est pas accepté), on fait avec ceux qui sont présents, avec ce que l’on a et avec qui l’on est et si ce jour-là, personne n’est en mesure de nous éclairer sur le pourquoi du comment de tel concept ou savoir qui était tout à fait Méduse ou encore Circé ou peut-être Sophocle, on laisse flotter la question....les réponses ça se trouve toujours, du moment où on a réussi à formuler une bonne question. Seul le dictionnaire est le recours que nous nous autorisons, encore une fois le « petit », le degré zéro de ce que nous aurions en commun : une langue et ses définitions et c’est déjà bien assez discutable comme ça.   

  

Cette année, nous tentons de traverser une histoire du texte de théâtre en nous appliquant la méthode de Victor Hugo dans sa Préface de Cromwell, "[...], comme la poésie se superpose toujours à la société, nous allons essayer de démêler, d'après la forme de celle-ci, quel a dû être le caractère de l'autre, [...]".  Le monde, le cosmos, de sa totalité close et immuable à son inachèvement et le personnage au milieu, dessus, dessous, en attente, en rage, morcelé ou totalement effacé, jusqu’à ne même plus savoir qui parle. Et c’est avec les figures de la fatalité et de la prédiction, celles des dieux, des étoiles, des statues de pierre, des globes et des planètes, des ordres établis et des possibilités d'agir, que l’histoire du texte de théâtre nous mène. Croire et agir. Ne pas croire et ne pas agir. Et entre ces deux injonctions, l’éventail de possibilités encore inépuisé.

 

Nous sommes là, les Lectures Collectives, dans le sillage des arpentages, de l’éducation populaire, des cercles d’auto-formation. Petits mais chaque fois présents. Le bruit court, les ateliers se remplissent de bouche à oreille, de la main à la main, presque sous le manteau...Et dans ces journées retirées on se dit qu’à notre échelle, on conjure le mal du siècle en se remettant à l’étude de ce qui, en apparence, nous serait commun. Nous ne sommes pas prêts. Nous nous préparons. 

Caroline Masini.jpg

Caroline Masini est dramaturge et docteure en Études théâtrales de l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Auteure de textes pour le théâtre (Ce qui nous revient, m.e.s Paulo Duarte ; Je peux presque tout voir, Collectif kom.post ; Les Mangeurs, m.e.s Emilien Urbach ; Se souvenir de Violetta, m.e.s Caroline Guiela N’Guyen, ....) elle accompagne aussi à la dramaturgie des artistes issus de divers champs du spectacle vivant (arts dans l’espace public ; arts de la marionnette et de la chorégraphie) ou encore pour la performance musicale et sonore. Membre du Collectif kom.post de 2012 à 2017, elle mène en parallèle de son travail de dramaturge une activité de recherche et d’enseignement universitaires portant sur les relations politiques et esthétiques entre réel et fiction dans la période contemporaine. Depuis 2018, elle développe et experimente dans différents contextes les méthodes d’arpentage et d’auto-formation issus de l'Éducation populaire (Université Nice-Côte d’Azur ; CDN-Théâtre des Treize Vents de Montpellier, Association Facteur de ciel), afin de poursuivre une réflexion au long cours sur les déterminismes sociaux et culturels dans la transmission des savoirs et des Humanités.
 

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