AGATHE BEDARD
Agathe Bedard est réalisatrice de films documentaires. Formée à l’école documentaire de Lussas, elle a d’abord étudié la géographie « en se tournant vers une approche critique et sociale des migrations contemporaines. »
« Mon désir d’écriture documentaire s’est construit à travers des rencontres pendant mes terrains de recherche à Athènes dans des lieux politiques qui réunissaient militant.e.s et exilé.es. »
Elle est invitée en résidence pour poursuivre et approfondir l’écriture de son film suite à plusieurs mois de repérage à Mayotte où elle se rendra entre février et mai 2024.
Elle sera accueillie en résidence à Grasse en septembre 2024.
Née en 1995, j’ai grandi entre l’Alsace et la région parisienne. J’ai d’abord étudié la géographie à Paris 1 puis à Poitiers en me tournant vers une approche critique et sociale des migrations contemporaines. Mes recherches ont porté sur des lieux autogérés habités par des militant.es et exilé.es à Athènes. J’ai ensuite habité pendant deux ans à Mayotte où j’ai entamé l’écriture de mon projet de film. J’ai réalisé Ah Juliette ! mon film de fin d'étude à l’école documentaire de Lussas en 2022
Crédits : Agathe Bedard - images de repérage
« En 2019, je me suis installée à Mayotte. J’y ai habité et travaillé pendant deux ans. À mon arrivée, je me souviens avoir été saisie dans les rues, dans les regards et les histoires que j’entendais, d’une sensation d’étrangeté. Celle d’être face à une violence sourde qui s’infiltrait partout et dans toutes les relations. J’étais une muzungu, une métropolitaine blanche, projetée sur une île où plusieurs mondes aux identités tiraillées coexistent. Pendant ces deux années, j’ai un peu mieux compris ce qu’on appelle la colonialité. Tout ce qui perdure dans des espaces anciennement colonisés, dans les systèmes politiques, dans les lieux et les paysages, dans les relations et en soi. Alors que j’avais été assaillie d’images et de représentations médiatiques violentes de Mayotte, c’est une violence ordinaire et plus diffuse qui m’a atteinte. Je situe là l’origine de mon envie d’écriture d’un film documentaire. Ensuite, la rencontre avec Baraka, protagoniste principale du film, m’a donné l’élan et le désir de réaliser ce projet.
J’ai rencontré Baraka au moment charnière de son premier départ pour l’Hexagone où elle partait faire ses études. J’ai passé beaucoup de temps avec elle, dans sa famille, alors qu’elle se questionnait encore sur ce qui l’attendait à Montpellier et réfléchissait au quotidien qu’elle s’apprêtait à quitter : une vie d’«étrangère» sur l’ île qui l’a vue grandir.
Situé dans le canal du Mozambique, l’Archipel des Comores dont fait partie Mayotte est en proie à un déchirement territorial et identitaire. Mayotte est restée un territoire d’outre-mer après les décolonisations et a accédé au statut de département français il y a douze ans. Les autres îles de l’Archipel des Comores, Anjouan, la Grande-Comore et Mohéli sont devenues un État-nation. Le visa Balladur instauré en 1995 a mis fin aux circulations ancestrales entre Mayotte et les autres îles de l’Archipel. Le bras de mer qui la sépare d’Anjouan est devenu un des plus grands cimetières marins. Plus de 12 000 personnes y ont perdu la vie entre 1995 et 2012. Depuis, les chiffres ne sont plus accessibles. Les naufrages continuent, alimentés par un système d’expulsion massif.
Je souhaite que mon film s’éloigne du mythe d’une « immigration massive et incontrôlée » qui sature l’espace médiatique, politique et social mahorais comme hexagonal. Souvent présente sur le territoire depuis des décennies, une partie de la population étrangère de l’île est maintenue dans une situation d’irrégularité, exploitée comme main d’œuvre bon marché et vit avec la peur d’être expulsée.
La famille de Baraka, originaire de la Grande-Comore et d’Anjouan, habite depuis vingt-cinq ans dans un petit village du Sud de Mayotte, au bord d’une plage de sable volcanique, qui lui a donné son nom : Mtsamoudou, le sable noir. Le film que je souhaite construire avec Baraka et ses proches se déroule sur le temps long. Leur histoire et leur trajectoire sont profondément liée à celle de l’Archipel. En repérages, je souhaite partir de l’unité familiale, du petit théâtre de leur quotidien ancré dans le village et chercher avec eux à faire émerger dans le film un récit collectif des étrangers de l’île. »
Agathe Bedard