OLIVIER SACCOMANO / UN HAMLET DE MOINS
Olivier Saccomano a été accueilli en résidence d'auteur en juillet 2020 pour travailler sur l'écriture de la piéce Un Hamlet de moins.
UN HAMLET DE MOINS
Crédit : Jean-Louis Fernandez
Dans la pièce de Shakespeare, quatre jeunes gens travaillent depuis 420 ans : Hamlet, le prince poète qui fait le fou pour faire ou ne pas faire ce que son père lui a demandé, Ophélie, à qui son père a appris à dire monseigneur à tous les hommes du Moyen Âge en attendant qu’on l’épouse ou qu’on l’abuse, Laërte son frère, qui est prêt à renverser le royaume s’il n’obtient pas justice, Horatio, l’ami philosophe, qui depuis le jour des meurtres, fatal aux trois autres, a la charge de perpétuer la tragédie à travers l’histoire.
Arracher ces quatre rôles à la pièce d’origine, ce n’est pas les libérer des mots d’ordre de leurs parents ou de leur royaume, ou de la fable shakespearienne, c’est les laisser creuser et explorer pour eux-mêmes des galeries souterraines dans le monument, suivre aveuglément — comme des taupes — les bifurcations du désir et de ses labyrinthes, et sortir la tête, à intervalles réguliers depuis 420 ans, pour éprouver les nouveaux visages de l’obscénité du pouvoir.
Il se peut que ce Hamlet de moins soit une tragédie de moins, tant notre modernité s’est échinée à conjurer la mort, quitte à se décliner en sinistres farces. Mais il se peut aussi qu’au bout de la farce, parce qu’on l’aura poussée à bout, on découvre une forme nouvelle de tragédie, propre à notre temps. Et qui donne un nouvel écho aux trois motifs qui nous semblent traverser la pièce de Shakespeare : l’obscénité, l’imitation, l’oubli.
L’obscénité est le reproche essentiel que Hamlet adresse au Danemark. Obscénité évidente, celle du sexe et du meurtre, mais plus profondément, obscénité qui consiste à rabattre tous les plans de l’existence sur un seul plan, où tout équivaut à tout, pour peu qu’on y mette le prix. Royaume des images.
L’imitation est l’arme favorite de Hamlet, qui présente à tous ses interlocuteurs un miroir où se révèle leur monstruosité.
Ce pourquoi il ne cesse de les imiter, jusqu’à ce que plus personne ne sache où cela s’arrêtera. Car, par terreur de l’évaluation, tout le monde se met à imiter tout le monde. Royaume du jeu.
L’oubli est ce que demande le pouvoir, ce que demande la communication de masse. Oublier les crimes, les désirs de la veille, les engagements pris, pour instaurer le pur présent du gain. Que chacun se mette à « zapper » ce qui l’occupait la minute précédente, et la machinerie continuera à tourner. Royaume de l’instant.
Et sur scène, quatre jeunes gens de 420 ans se débattent dans le piège théâtral qu’ils tendent à leurs parents, jusqu’à y chuter.
conception : Nathalie Garraud et Olivier Saccomano d’après Hamlet de Shakespeare
écriture : Olivier Saccomano mise en scène : Nathalie Garraud
jeu : Cédric Michel, Florian Onnéin, Conchita Paz, Charly Totterwitz - Troupe Associée au Théâtre des 13 vents
scénographie : Nathalie Garraud
costumes : Sarah Leterrier
assistanat à la mise en scène : Ariane Salesne
son : Serge Monségu
construction décor : Christophe Corsini, Colin Lombard
production : Théâtre des 13 vents
création avril 2021
Olivier Saccomano est né en 1972 en banlieue parisienne. Après des études de philosophie, il fonde en 1998 à Marseille la compagnie Théâtre de la Peste, au sein de laquelle il met en scène une dizaine de spectacles, adaptés de textes de Brecht, Sophocle, Kafka, Duras, Darwich, Dostoievski : C’est bien c’est mal, Le monde était-il renversé ?, Thèbes et ailleurs, Confessions de Stavroguine, et expérimente une forme théâtrale légère, Les Études, qui lie l’idée d’œuvre à celle d’exercice : Monk alone / Étude n°1 à partir de « Thelonious himself » de Monk), Le Bruit de la mer / Étude n°2 à partir de lettres de Marguerite Duras), Le Poème de Beyrouth / Étude n°3 à partir du poème de Mahmoud Darwich, Évocation / Étude n°4 à partir de l’œuvre de John Cage.
De 2000 à 2013, il enseigne au département Théâtre d’Aix-Marseille Université, où il assure des cours théoriques et pratiques. Il y coordonne les Ateliers de Recherche Théâtrale, réunissant des théoriciens et des praticiens autour du thème « La parole et l’action dans les écritures dites post-dramatiques ». Lors de ces ateliers, il rencontre Nathalie Garraud, puis rejoint la compagnie du Zieu en 2006. Ils travaillent ensemble à la conception de cycles de création, au sein desquels il se consacre à l’écriture : Notre jeunesse (2013), Othello, variation pour trois acteurs (2014), Soudain la nuit (2015), La Beauté du geste (2019). Il a parfois répondu à des commandes d’écritures, pour le CDN de Montluçon avec une pièce pour lycéens (Diogène, 2014) et pour Olivier Coulon-Jablonka dans le cadre du Festival Odyssée en Yvelines (Trois songes, un procès de Socrate, 2016).
Parallèlement, il poursuit ses recherches philosophiques et publie des textes théoriques. Il est notamment l’auteur d’une thèse de philosophie intitulée Le Théâtre comme pensée (2016), publiée, comme les textes des pièces, aux Éditions Les Solitaires Intempestifs.
Entretien avec Olivier Saccomano / mai 2022
Nous vous proposons des entretiens audio avec les artistes venus en résidence. Ils sont édités dans leur intégralité, il n'y a pas de montage. Nous avons choisi d'en garder les silences, les hésitations, préférant le rythme réel de l'entretien qui donne à entendre une pensée en mouvement.